Au crépuscule des mots...

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vendredi 11 septembre 2015

Petits meurtres entre linguistes...

La septième fonction du langage de Laurent Binet.


L'intrigue du nouveau roman de Laurent Binet est réjouissante: Roland Barthes, célèbre sémiologue français, est assassiné, renversé par une camionnette le 25 février 1980, en sortant d'un déjeuner avec François Mitterrand. La raison de ce meurtre subtilement orchestré est la suivante: Barthes détient à ce moment-là un document qui pourrait changer les fondements du langage et devenir un formidable outil de pouvoir, il s'agit de la septième fonction du langage définie par Jakobson, autre linguiste réputé. Une enquête et une course-poursuite infernale s'engagent alors entre un commissaire dépassé par le monde intellectuel des années 80, accompagné de Simon, un jeune universitaire spécialisé dans les sciences du langages, et les tueurs de Roland Barthes qui essayent par tous les moyens de récupérer ce fameux document, volatilisé après l'accident.

Ce roman prend alors la forme d'un thriller savoureux où les faits réels deviennent largement romancés par la fantaisie et le talent d'écrivain, incontestable, de Laurent Binet, que j'avais déjà fort apprécié à la lecture de son premier excellent roman, HHhH, qui raconte l'attentat qui a été fomenté contre le dirigeant SS Reinhard Heydrich durant la Seconde Guerre. Ce roman met en scène tout un pan de la vie intellectuelle et culturelle des années 80 avec des personnages réels, plongés dans des situations absurdes, librement sorties de l'imaginaire loufoque de l'auteur, qui sont parfois fort comiques. Ainsi on retrouve Michel Foucault (dans un sauna gay!), le couple Philippe Sollers et Julia Kristeva (absurdes au possible!), Umberto Eco, Jean-Paul Sartre, Louis Althusser, et le ridicule BHL et sa sempiternelle chemise blanche!

Ce roman s'annonçait alors comme une réussite. Si la première moitié du roman donne un ton jubilatoire et part dans un joyeux bordel bien ficelé, la seconde partie quant à elle s'égare malheureusement dans des envolées intellectuelles et philosophiques qui viennent considérablement alourdir le récit, et le rendent, souvent, très obscur. En effet, les personnages déclament des tirades inspirées, d'ordre souvent politiques ou culturelles qui, si elles ne sont pas connues véritablement du lecteur, paraissent alors insipides et opaques. C'est dommage. On a non seulement l'impression de passer à côté du texte et de sa tonalité apparemment cynique, mais en plus on se sent cruellement lésé car on ne semble pas convier à la rigolade générale. Le roman prend alors une tournure déplaisante, où Laurent Binet s'enfonce dans son propre délire et s'exerce à des joutes oratoires (par ses personnages) peu compréhensibles, sinon de lui-même. Pour montrer, inutilement, toute l'étendue de sa grande culture politique et culturelle des années 80? Je ne l'espère pas.

Déçu par ce roman car j'aime beaucoup les talents d'auteur de Laurent Binet et sa façon de raconter les choses. Mais avec La Septième Fonction du Langage, il m'a perdu en cours de route, c'est dommage, mais j'attends tout de même son prochain roman avec impatience.

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